PORTÉE DU PRÉSENT DOCUMENT

Le présent document fait état des lieux des réflexions en cours au sein du Syndicat Solidarité Cordistes, quant aux conditions de reprise des travaux sur cordes, alors que sévit la pandémie de Covid-19.

Ce document peut être téléchargé en PDF :

S’appuyant sur les recommandations de l’OPPBTP (notamment le « GUIDE-DE-PRECONISATIONS-COVID-19-OPPBTP » et la « Boite à outils COVID-19 » actualisés le 10 avril 2020), sur des faits avérés et argumentés par voie de presse, et sur de nombreuses remontées de terrains, nous avons conduit notre réflexion de manière la plus objective possible.

Le Guide présente les modalités de reprise des travaux dans le BTP en vue de protéger l’ensemble des acteurs des chantiers (travailleurs, encadrants, clients…) contre la Covid-19.

Cependant, plusieurs recommandations nous semblent difficiles à appliquer dans les travaux sur cordes.

1)   Recommandations OPPBTP : (in)adéquations avec les travaux sur cordes

« Respect d’une distance minimale d’un mètre entre les personnes à tout moment, sauf consignes particulières indiquées ci-après »

Cela nous semble incompatible avec de nombreuses situations de travaux sur cordes, où la proximité entre les Cordistes est gage d’efficacité, mais surtout de sécurité, notamment au regard du Code du Travail, qui précise (Art 4323-89, alinéa 5) que « Le travail est programmé et supervisé de telle sorte qu’un secours puisse être immédiatement porté au travailleur en cas d’urgence » et (Art 4323-61) « Lorsqu’il est fait usage d’un tel équipement de protection individuelle, un travailleur ne doit jamais rester seul, afin de pouvoir être secouru dans un délai compatible avec la préservation de sa santé ».

« Lavage approfondi et fréquent des mains à l’eau et au savon liquide, a minima en début de journée, à chaque changement de tâche, et toutes les 2 heures en cas de port non permanent des gants, après contact impromptu avec d’autres personnes ou port d’objets récemment manipulés par d’autres personnes. »

 Il apparait potentiellement difficile d’approvisionner un point d’eau et du savon à tous les postes de travail sur cordes, pour permettre un lavage approfondi des mains à chaque changement de tâche.

SYNTHÈSE
En plus de devoir organiser les travaux permettant une distance suffisante, il faudra organiser les postes de travail pour permettre le lavage approfondi des mains, et des équipements. Il conviendra évidemment de s’assurer de la compatibilité des EPI avec les produits de nettoyage (attention aux solvants avec le textile !)

2)   Pertinence d’une relance généralisée des Travaux sur Cordes face aux risques en présence

Le guide OPPBTP précise à 2 reprise (pages 4 et 7), en majuscules et en rouge :

« Les conditions actuelles d’intervention présentent des risques de conditions opérationnelles dégradées en raison d’une indisponibilité probable de personnel, de matériels, de sous-traitant ou autres ressources habituelles des opérations. Une attention particulière doit donc être portée sur tous les risques « traditionnels » des chantiers, et en particulier les risques de chute, de heurt, ceux liés à l’électricité, aux engins, aux produits chimiques, au port de charge et aux postures. »

Puisque s’agissant de ne pas exposer inutilement une partie de la population à des risques d’accidents, il est utile de rappeler que les sources principales d’accidents dans le BTP sont (chiffres CNAM 2018) :

– Manutentions manuelles pour 48% des AT

– Chutes de Hauteur pour 17% des AT

– Outillage à main pour 15% des AT

Ces activités concernent directement les Cordistes dans la quasi-totalité des opérations de Travaux sur Cordes.

Ainsi, puisque les services de secours et de santé sont actuellement pour grande partie affairés à secourir et soigner les malades de la Covid-19, il peut sembler inopportun de générer des activités non-indispensables et « statistiquement plus sujettes aux accidents » afin de ne pas surcharger ces services de secours et de santé.

Recourir aux hôpitaux et solliciter les services de secours par suites d’accidents du travail reviendrait par ailleurs à générer une prise de risque supplémentaire de contamination de la Covid-19, pour les blessés, et pour le personnel de secours et de santé.

SYNTHÈSE
Il ne nous semble ainsi pas pertinent de relancer l’ensemble des opérations de travaux sur cordes, de par leur caractère statistiquement plus accidentogène que d’autres travaux, notamment ceux sans exposition à la hauteur. A minima, si les travaux sont indispensables, il est primordial que l’employeur s’assure de la disponibilité de services de secours pouvant intervenir sur le lieu de travail.  

3)   Indisponibilité des masques de protection – imprécision des mesures recommandées

Il est avéré que les masques de protection manquent actuellement notamment aux services de santé, qui en ont le plus besoin, et ne seront vraisemblablement pas disponible en quantité suffisantes pour l’équipement des Cordistes avant un certain temps.

Les plus importants stocks nationaux sont par ailleurs réquisitionnés jusqu’au 31 mai 2020 (Article 12 du décret 2020-293 du 23 mars 2020).

Plusieurs « affiches » ou « fiches pratiques » de l’OPPBTP à propos des moyens de prévention contre la Covid-19 mentionnent l’obligation de port du masque lors du travail, notamment en présence de personnes infectées ou fragiles.

La première version du guide OPPBTP (ou ses annexes) mentionnait la possibilité d’intervenir sans masque lors de travaux, y compris « chez une personne infectée », à condition de respecter certaines autres mesures de protections (distanciation notamment). La pertinence de ces propos était largement critiquable, et critiquée.

Il est précisé à plusieurs reprises, sur les documents OPPBTP, la possibilité de se munir de masques soit chirurgicaux, soit FFP2, soit FFP3, soit d’écrans faciaux. Aussi, la différence entre les masques à valve ou non n’est que très succinctement mentionnée, hors les masques à valves peuvent favoriser la contamination puisque l’air expiré n’est pas filtré.

Même si aujourd’hui les recommandations tendent à systématiser le port du masque, notamment lorsque la distanciation peut être jugée insuffisante, ou lors de travaux avec des personnes malades ou à risque (cela s’entend), les précisions sur la qualité des masques à utiliser et leurs performances sont parfois floues (masques tissus, chirurgicaux, FFP1, 2, 3…). Le tableau comparatif de l’OPPBTP demeure une source relativement complète à ce propos.

SYNTHÈSE
Nous rappelons que chaque recours à l’usage d’un EPI doit être adapté à une mesure de protection, et que le choix des EPI repose sur une analyse des risques précise, non sur la disponibilité ou pas des équipements.  

4)   Déplacements dans les transports en commun ou en véhicules d’entreprise mutualisés

Le guide de l’OPPBTP recommande :

« Veiller à assurer la distance minimale d’un mètre entre les personnes : une personne par rang maximum, et en quinconce si plusieurs rangs. »

« Dans le cas d’une utilisation partagée de véhicule et pour les engins, prévoir la désinfection des surfaces de contact entre utilisateurs (volant, boutons de commande, poignée de changement de vitesse…) et la mise à disposition de lingettes désinfectantes et de gel ou de solution hydroalcoolique. »

« Privilégier les modes de transport individuel. Recourir le cas échéant au véhicule personnel (indemnité de transport et assurance à vérifier). »

« En cas d’utilisation des transports en commun : respect de la distance minimale d’un mètre et lavage des mains obligatoire à l’arrivée au chantier. »

Les travaux sur corde s’exercent à minima en binôme (règle de bon sens pour pouvoir se porter secours, et exigence légale). De ce fait, pour se rendre sur les chantiers, il est coutume de mutualiser les déplacements, souvent via les véhicules d’entreprise.

De manière générale, il peut sembler difficile de respecter la distance d’1m en partageant un même véhicule. De plus, la propagation du virus par les gouttelettes de salives expulsées par des toux ou éternuements semble très probablement fortement accrue en espace confiné (tel qu’un véhicule).

Ainsi, au détriment du covoiturage et des limitations de pollutions par les déplacements, il peut être préférable de privilégier les déplacements en véhicules individuels.

Dans le cas où l’entreprise ne dispose pas d’une flotte suffisante de véhicules, nous rappelons que « l’employeur ne peut imposer au salarié d’utiliser son véhicule personnel. Il lui faut pour cela l’accord exprès de l’intéressé » (sources : wk-rh.fr et infodroits.fr).

Les salariés acceptant d’utiliser un véhicule personnel doivent s’assurer d’être assurés pour ce genre de déplacements.

SYNTHÈSE
Ainsi, nous ne pouvons que recommander d’exiger le recours à la limitation d’une personne par véhicule, et à minima si un véhicule est partagé (en distanciant le maximum les usagers), de maintenir une ventilation permanente (telle qu’obligatoire pour les taxis, par exemple). Les salariés qui acceptent (cela ne peut être obligé) d’utiliser leur véhicule personnel à la demande de leur employeur doivent être assurés et indemnisés selon les barèmes en vigueur.  

5)   Pertinence des mesures de protection exemptes de supervision opérationnelle

Le Guide OPPBTP mentionne de nombreuses mesures à définir, formaliser, transmettre aux équipes et à appliquer sur les chantiers.

On peut lire : « L’information des salariés est essentielle en cette période de pandémie, en assurant la bonne compréhension des consignes. C’est une condition de leur adhésion aux mesures préconisées, qui demandent l’engagement et la bonne volonté de chacun. »

Toutefois, même en exigeant la nomination d’un « référent Covid-19 », le guide omet de mentionner et de préciser des moyens permettant de garantir l’application effective de ces mesures.

La « bonne volonté » n’exempte pas l’erreur. Et la confiance n’exclut pas le contrôle.

Nous alertons sur le fait que le guide de l’OPPBTP ne recommande que les obligations de moyen de l’employeur, et nous tenons à rappeler que « L’obligation de sécurité de résultat oblige l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires et efficaces pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale, des travailleurs. » (sur le site « infosdroits.fr »)

Nous rappelons que les Cordistes ont de nombreux paramètres à gérer en permanence (positionnement sur cordes, tâches à réaliser, approvisionnement et positionnement des matériaux et outils, coactivité entre collègues ou avec d’autres acteurs du chantier, le vent, la sécurité des outils…), et ajouter de nombreuses règles nouvelles et très contraignantes (à juste titre), n’est pas cohérent en absence d’une supervision effective par une personne compétente en la matière, afin de veiller à la sécurité des intervenants par leur respect des mesures établies.

SYNTHÈSE
Il nous apparait indispensable qu’une supervision permanente, et effective des opération soit mise en place.

6)   Conclusion

Au vu des éléments mentionnés il nous apparait qu’une reprise généralisée des activités de Travaux sur Cordes (hors Travaux d’urgence, indispensables pour maintenir des services vitaux, ou sans lesquels des risques importants menaceraient de destruction des biens indispensables ou des personnes) n’est pas pertinente.

SYNTHÈSE GÉNÉRALE

Pour les travaux ne pouvant pas être différés, il est indispensable de :

Pouvoir à minima appliquer les mesures de distanciation préconisées
Pouvoir se laver les mains et laver les outils et matériaux très régulièrement
Pouvoir se protéger de manière la plus adaptée (port du masque FFP2 à minima)
Pouvoir assurer la disponibilité des services de secours en cas de problème

Toute reprise d’activité doit être conditionnée à l’établissement d’une analyse de risques exhaustive, à la formalisation de modes opératoires complets et précis, qui soient transmis, communiqués, applicables et appliqués sur les chantiers.
Les travaux indispensables, en cette période pandémique, doivent à minima présenter l’ensemble des conditions satisfaisant le Guide de l’OPPBTP (mesures de distanciation, mesures sanitaires, transmission et rappel des consignes, contrôle de la santé des intervenants, exclusion des personnes à risque…), au risque de se contaminer, mais surtout de véhiculer la Covid-19 !  

Nous alertons cependant davantage sur les besoins de protections respiratoires au moyens de masques dont la fourniture est pour l’instant compliquée voire impossible.

Remarques

Ce qui suit peut être appliqué au quotidien dans de nombreuses situations, mais les circonstances actuelles ne peuvent que renforcer ces conseils :

Concernant le besoin de garantir un secours sur cordes dans un délai compatible avec la préservation de la santé, et ainsi, pour éviter les rapprochements potentiellement inutiles entre cordistes, nous recommandons de privilégier l’équipement des cordes sur systèmes débrayables, permettant d’évacuer à minima vers le bas (et selon des équipement plus complexe, vers le haut) un Cordiste dans l’incapacité de s’évacuer par lui-même.  

Nous rappelons également qu’une supervision effective des opérations, telle que prévue par ailleurs par le code du travail concernant les travaux sur cordes (Art 4323-89), est indispensable afin de garantir le respect des mesures définies pour assurer la sécurité des intervenants.

7)   Rappel : Cadre légal du DROIT DE RETRAIT

Nous rappelons que le Droit de Retrait, au titre de l’article L4131-1 du Code du Travail, est un droit permettant aux travailleurs de se retirer d’une situation de travail ou figure un « danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».

En vertu de ce droit, dès lors que les mesures définies par le Guide de l’OPPBTP, puisque signé par plusieurs Ministères, ne peuvent être exhaustivement appliquée, et comme le rappelle le gouvernement, le droit de retrait est applicable : « Si ces recommandations ne sont pas suivies par l’employeur, alors le travailleur peut exercer son droit de retrait jusqu’à ce que celles-ci soient mises en œuvre »

Enfin, pour rappel : « l’employeur ne peut effectuer aucune retenue sur salaire, ni sanctionner un travailleur ou un groupe de travailleurs qui a exercé son droit de retrait de manière légitime. » et « L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent »

8)   Dans le doute : ne restez pas seul !

Si vous vous sentez mis en danger, si vous souhaitez échanger sur le sujet, et si vous souhaitez également conseiller des collègues, n’hésitez pas, contactez-nous sur :

solidaritecordistes@protonmail.com

POUR ALLER PLUS LOIN

– Informations sur le SYSOCO disponibles sur : www.solidaritecordistes.fr

– L’association « Cordistes en Colère, Cordistes Solidaires » a également publié une réaction au guide de l’OPPBTP.  

Et soyez libres si vous le souhaitez de rejoindre le Syndicat Solidarité Cordistes.

Laisser un commentaire