Entretien avec Pascal Ollivier, inventeur du TAZ

Pascal Ollivier

Bonjour Pascal, tu fais partie de la grande famille des inventeurs de matériel permettant d’évoluer sur cordes, dans la lignée des Pierre Allain, Fernand Petzl,…

Bonjour Philippe,  je suis loin d’être à leur niveau.

Comment invente-t-on un nouveau produit ?

En ce qui me concerne, ça vient d’abord du terrain, parce que je ne trouve pas l’outil qui me rendrait un certain service. Ensuite, ne trouvant pas « dans le commerce », je l’imagine et je le bricole. Quand ça marche il est dessiné et reproduit en prototype fonctionnel.

Je suis longtemps resté sur ce type d’inventions ; Rack de maintien en paroi des fleurets et tiges de foration, triangles pliables de déport de la corde en bord de toiture, potence négative en U pour création de points d’amarrages en sous face d’encorbellements de ponts, largage à distance de points de connexion. Elles n’étaient fabriquées qu’en prototype et très petites séries (entre 2 et 5 exemplaires) avec  l’aide du mécano de l’atelier,  pour une utilisation au sein de l’entreprise.

Quand j’ai senti l’énergie d’aller plus loin, grâce au soutien de certains utilisateurs (les marins pour le LOV2) et de mon entourage et de certains amis,  je suis passé par nécessité aux étapes suivantes, ouvrant la voie à une « industrialisation ».

Cette phase est beaucoup plus longue que les protoypes « garage ». Le prototype fonctionnel doit d’abord passer par l’étape de la pré-série qui sert aux tests terrain et au laboratoire de normalisation. Il doit ensuite être validé puis produit en séries, avec toute l’organisation de recherche de fournisseurs, de traçabilité, de contrôle de production et de répétabilité.

C’est très excitant au début jusqu’à la phase du proto qui marche bien. C’est plus austère et long ensuite, mais on jubile à nouveau quand les utilisateurs l’achètent, en sont contents et en trouvent d’autres usages.

 

Par rapport aux premières inventions, les cahiers de charge ont évolué et l’aspect normatif a rajouté d’innombrables contraintes. Comment un indépendant comme toi a-t-il réussi à produire un nouveau matériel sans le poids des grosses structures actuelles ?

Je ne sais pas vraiment, mais il y a beaucoup de travail, une immense envie d’aller au bout et un acharnement à ne pas renoncer. Cela était impossible sans le soutien moral et financier de certaines personnes.  Du temps, de l’argent, des encouragements et des soutiens.

On se retrouve maintenant avec une dizaine de personnes, hyper réactives et engagées, qui font avancer la petite machine agile.

Quelle est l’anecdote la plus insolite de ta carrière de cordiste ?

J’ai vu que j’avais oublié mon harnais en haut des 8 étages sans ascenseur, j’ai eu des pots de peinture qui ont coulé sur des façades, des clefs qui n’ouvraient aucune porte, des tuyaux d’air percés, des réservoirs vidés, des cordes gelées, des cordes volées sur un toit, un client qui ne payait pas, un compresseur qui ne marchait plus à cause d’un sac en plastique mis dans le filtre à air pendant une nuit,  etc..

En plus lyrique, j’ai  partagé  quelques instants de grâce au matin, quand le soleil perce par-dessus les brumes basses sur des falaises du Diois ou quand la mer de nuage ne laisse flotter que les hauts des 2 pylônes haubanés du Pont de Normandie.

Comment vois-tu la corde dans ta pratique ?

Ce que je vois, c’est l’espace aérien et la matière sur laquelle on se déplace comme les parois, les immeubles, les ponts, les cheminées, les toitures.  Les matières sont plus ou moins épurées, impressionnantes, grasses, propres. Mais on essaye d’y être le plus léger possible grâce aux cordes et aux outils.  C’est un moyen de déplacement en 3D.

Et puis il y a aussi l’équipe, les filles et gars avec qui on travaille, les discussions du soir et les partages des tâches dures, ou exaltantes.

Le TAZ est un descendeur sur corde tendue. Peux-tu en expliquer les spécificités ?

C’est très simple, premièrement, le trajet de la corde dans l’outil est rectiligne. Il se pose, s’utilise et s’enlève sur une corde normale, souple, comme sur une corde tendue ou diagonale. La deuxième spécificité est qu’il fonctionne en pincement de la corde, sans picot.

Les conséquences techniques sont principalement que, en fonction antichute, il n’a pas besoin d’absorbeur et il se débloque sans autre action que d’ouvrir la poignée de descente, et en fonction de descendeur, il se déplace facilement vers le haut et il peut y avoir une tension dessous (par un bloqueur de pied, par la poids de la corde, par une diagonale,..) Tous les autres usages découlent de ces caractéristiques.

On peut désormais retrouver le TAZ dans le monde entier, d’Allemagne, jusqu’en Birmanie. Y-a-t-il des clients ou des usages que tu n’avais pas anticipés ?

Oui, beaucoup, comme le SRT en élagage (single rope technic, montée en alterné avec bloqueurs de pied et genou), le balancier de déblocage de victime directement sur l’outil, le frein de charge ou sécurité de winchs, le poulie- bloc largable, l’assurage en premier de cordée en solo, le va et vient d’évacuation avec 2 outils, etc..

Au début, l’outil ne marchait que sur corde tendue. Dès qu’on l’a fait évoluer grâce à la came mobile, il est devenu utilisable sur toutes les cordes, et les possibilités sont arrivées de tous les côtés. On pense que ce n’est pas encore fini.

Quelle est la plus belle histoire autour du TAZ ?

La plus belle est surement celle à venir.  Sinon, un des concurrents du Vendée Globe, Jean Pierre Dick, m’a appelé pendant la course, au milieu du Pacifique, perché dans son mât. Il avait laissé un scotch de marquage sur sa drisse et il n’arrivait pas à le passer à la descente. On a trouvé la solution en direct. Il a réussi et on a été bien soulagés.

Tu fais partie de ces êtres étranges qui utilisent la corde pour se déplacer et en vivent. Quel est ton rapport à la hauteur et à la verticalité ?

Ta question est large. Je dirais de la fascination, de la crainte et beaucoup d’envie.

On pense d’abord sécurité; chaque ascension, chaque descente, chaque travail, exige une préparation et une évaluation des possibilités. Une fois en action,  j’aimerais être le plus économe possible pendant la réalisation, avec la sensation d’accomplir du beau travail. On n’y arrive pas toujours.  Sinon, demandes à mon psy !

Pour finir, peux-tu citer un livre et un film à découvrir autour de l’univers de la corde ?

Je n’en connais pas qui soient relatifs spécifiquement au domaine du travail en hauteur. Pour ma jeunesse et le rêve de gosse je dirais Premier de cordée de Frison-Roche avec l’univers du vide, et pour l’univers de travail je dirais Breaking the waves de Lars Von Trier. L’ambiance, l’atmosphère y sont hyper bien décrits, bien que ça en dépasse largement le cadre.

 

Propos recueillis par Philippe Krebs.

Le site officiel du TAZ

Le LOV2 en action.

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